Tiercé (partie 8)

Publié le par Chris de Neyr

Londres,  17 octobre                                                                                                        

 

Mathias,

  Alors, c'est bien vrai, tu t’es enfin décidé à remettre un peu d'ordre dans ta vie ?

  Si je ne sais pas quels seront tes choix, je suis au moins sûre d'une chose : cela soulagera tous ceux qui t'entourent et qui s'inquiétaient beaucoup à ton sujet. (Tu peux me compter dans le lot)

  J'ai rencontré Anaïs il y a quelques mois lors de mon dernier voyage en France et nous avons parlé un peu de tout. De toi aussi donc. (A propos, je suis désolée de n'avoir pu te joindre à ce moment-là mais ce n'est vraiment pas faute d'avoir essayé. Injoignable que tu étais ! ) Anaïs paraissait être dans une forme plutôt moyenne. Et très seule aussi. Je crois qu'elle aurait aimé envisager quelque chose de sérieux avec toi. C'est du moins ce qu'elle m'a laissé entendre. Hélas, comme d’habitude, tu n’as rien capté. Elle m’a raconté cette histoire de bébé, elle s’en voulait de n’avoir rien trouvé de mieux pour t’attirer dans ses filets –en fait, elle m’a avoué qu’elle avait surtout vu dans ce stratagème la possibilité unique de voir jusqu’où tu étais prêt à aller pour elle.

  Franchement –et même si je reste pour le moins sceptique sur sa méthode, je n'ai pu m'empêcher de la cautionner. Et de lui énumérer plusieurs situations gênantes, énervantes voire insultantes dans lesquelles je m'étais retrouvée "par la grâce" de cette faculté que tu as (que tu cultives, oui !) de ne rien vouloir voir ou entendre quand ça t'arrange. Je t'ai comparé à une plante verte se gavant d'oxygène et oubliant de se tourner vers la lumière. Tu ne m'en veux pas trop, j'espère ? Je ne suis pas persuadée de l'avoir encouragée à t'attendre mais quoi, il est parfois bon de lâcher ce que l’on a sur le cœur.

 

  J'ai su par ailleurs que notre cher Eddy était parti s'installer dans le Var avec une certaine Violetta qui n'allait pas tarder, selon la rumeur, à lui passer la corde au cou. Va savoir, ce n'est peut-être pas plus mal ! (J'ai toujours pensé qu'Eddy ferait un bon mari. Pas toi ? Derrière son abord "bille en tête" et un peu grivois, il cache une vraie capacité d'écoute vis à vis des femmes. Enfin, tu le connais mieux que moi ceci dit...)

 

  Excuse-moi mais je reviens sur l’histoire du « bébé ». Je ne te cacherai pas avoir eu une réaction très négative lorsque Anaïs m'a avoué les circonstances de sa soi-disant grossesse –le choc a été terrible, si tu veux savoir. Un moment, totalement ahurie, je me suis même demandée si ce n’était pas une autre invention de sa part. Hum hum. A l’écoute des détails qu’elle ne s’est pas privée de m’infliger, j’ai bien été obligée de la croire. Seigneur, j’ai pensé -et je m’en voulais d’autant plus que je ne savais pas trop ce qu'il y avait de tapi derrière ce « Seigneur » : de la consternation ? du dégoût ? de la stupeur ? de la… curiosité ?? Oh noooon… de l’envie ? de la jalousie pourquoi pas ?

  (Bon, sans doute est-il préférable que tu ne rebondisses pas sur ce que tu viens de lire, n’est-il pas…)

  Aujourd’hui en tout cas, j’arrive à ne plus trouver cela sordide ou répugnant. Je suis même persuadée que c'est le genre de chose qui peut arriver n’importe où, à n'importe qui. Ne t'inquiète pas, je n'ai rien de vraiment scabreux à t'annoncer... (Au fait, et toi, pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ? Tu avais honte ? Ou bien peur de ma réaction ?)

  Si je pouvais juste me permettre un conseil, ce serait quand même de garder tout ça pour vous, entre vous. TOUJOURS.

  Honnêtement, tout en écrivant, je me demande si le fait de savoir que vous étiez plusieurs ne m'aurait pas aidé à me faire à l'idée que tu aies pu avoir un enfant –si tel avait été le cas pour de vrai ! avec une autre que moi. C'est assez minable comme réaction, je te le concède, mais je préfère te le dire comme ça vient. Peut-être cela évitera-t-il les malaises entre nous lors de nos prochaines rencontres.

 

  Ces quelques semaines pendant lesquelles Anaïs a « testé » tes sentiments pour elle –quand même, allez inventer un truc pareil, il n’y a qu’elle pour ça, non ? - eh bien vois-tu, il s'est aussi passé beaucoup de choses dans mon entourage. Je ne parle pas de politique, tu n'as qu'à lire les journaux après tout. Non, c’est tout autre chose :

  Richard veut se marier.

  Aïe...

  ça va ?

  J'ai longtemps hésité (je sais bien qu'il faut très vite remonter en selle après une chute de cheval, mais tout de même...) avant de dire oui. C'est seulement après que j'ai réalisé que nous n'avions toujours pas divorcé.

  Ah ah ah ah.

  Alors voilà, est-ce que ça t'embêterait de bla bla bla...?

  Tu tiens le coup ?

  Je ne sais pas si c'est de bon goût de t'annoncer ça par courrier, je patauge un peu à vrai dire. Peut-être vaudrait-il mieux qu'on en parle de vive voix. Donne-moi ton avis veux-tu ?

  Richard est un homme patient et compréhensif. Un vrai gentleman. Mais attention, c’est un vrai « rosbeef » aussi !

  Je ne l'aime sans doute pas aussi « sauvagement » que je t'ai aimé, mais lui ne m'aime pas aussi « distraitement » que tu m'as aimée. (Je viens de relire ma phrase et j'ai préféré ajouter des guillemets aux deux adverbes, tu sais comme moi que rien n'est aussi simple)

  Es-tu allé voir Charles Aznavour au Palais des Congrès ? (Bien sûr cette question inopportune n'a d'autre but que de détendre un peu l'atmosphère…  )

 

  Je m'en veux de revenir là-dessus mais c'est plus fort que moi : à propos d'Anaïs, je ne saurais trop te conseiller de veiller attentivement sur elle. Je sais ce que tu vas dire: « Mêle-toi de ce qui te regarde ! » et tu auras raison. Mais franchement, pour qu'elle te pardonne tes écarts à ce point sans pour autant être une cruche, pour qu’elle fomente un plan pareil sans être une vraie salope, il me semble qu'il y a là un sillon à creuser pour vous deux. Surtout maintenant qu'Eddy et Pierre sont casés (quelle nouvelle aussi en ce qui concerne Pierre… mon Dieu, j'en suis restée baba !... en même temps, en y repensant aujourd’hui, il a toujours été un peu efféminé, non… ?).

  Enfin bref, c'est à toi de voir. (Je me fais l'effet d'être une entremetteuse, et c'est assez jouissif j’en ai bien peur !)

  Dans ta dernière lettre, tu me parles d'un nouveau boulot qu'Anaïs aurait réussi à te dégoter. Tout d'abord bravo à elle (!). Tu me dis avoir fait le même boulot les trois premiers jours. « Bon signe ! » dirait Eddy, non ? Et ça t'a plu ? Si oui, fonce. De toutes façons, je ne vois pas comment tu pourrais t'y prendre cette fois-ci pour te casser quelque chose. Si un jour tu t'ennuies, résiste. Au moins quelques temps. Ce ne sera peut-être qu'un court moment désagréable à passer. Bien sûr, si les symptômes persistent, n'hésite pas à laisser tomber (en t'entêtant tu serais bien capable de retomber dans tes travers).

  En tous les cas, va au bout des choses, Mathias.

  « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », j'ai retrouvé cette devise de Guillaume d'Orange -écrite de ta main, à la première page du "Paddy Clarke ha ha ha" de Roddy Doyle que tu m'avais offert (en anglais, mon salaud !). T'en souviens-tu ?

  J'ai bien conscience du côté "ampoulé" (je ne trouve pas le terme exact pour exprimer l’idée, mais je te fais confiance pour comprendre le sens que je veux donner à ce mot) de cette lettre mais sache que mes conseils maladroits et certainement malvenus ne sont pas une feinte pour masquer le vrai but de ma démarche : je désire autant ton approbation pour le divorce que ton bien-être dans ta vie qui ne me regarde plus, mais si quand même un peu.

  Allez, je m'en vais boire une Guiness à ta santé (bonjour le cliché !), bois donc un shooter (un, j'ai dit un !) à la mienne et n'oublie jamais ce que nous étions et ce que nous serons toujours l'un pour l'autre.

                                                                       Take care

Elisabeth

PS: A propos de Pierre et de son coming-out, promets-moi que tu n'y es pour rien ! (Je plaisante. Quoique...)

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M
<br /> C'est toujours aussi bien Chris de Neyr(Toujours autant de psychologie dans vos personnages, z'êtes doué pour ça hein..Si si...)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> C't'à dire, heu... la psychologie, j'm'en sers pas beaucoup dans la vraie vie, alors donc y m'en reste plein pour raconter mes p'tites<br /> nistoires...<br /> <br /> <br />
P
<br /> sympa, Elisabeth, dans le fond... très "fille" dans sa façon de vouloir caser son ex pour pouvoir officiellement en faire son ex sans avoir mauvaise conscience ;o)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Oui hein, c'est très "fille" tout ça ... c'est pas moi qui l'ai dit, hein!<br /> <br /> <br />