Mille et une vies
Dans une autre vie, j’ai voulu devenir écrivain.
C’était un sacré problème.
Je commençais toujours mes histoires par « Dans le Pas de Calais… »
Et mon histoire s’arrêtait là. Un fer à cheval dans un verre d’eau.
Le Pas de Calais, je me disais, c’est comme le pet d’un chien. Rien à voir avec le Montana de Richard Ford par exemple, ou le New-Hampshire de John Irving, l’Ulster de Robert Mac Liam Wilson. Et pourtant, je me disais aussi, c’est une région située juste en face du Kent de Charles Dickens, à moins de trois cents bornes du Meudon de Louis-Ferdinand Céline.
Je ne sais pas pourquoi je pensais à tout ça. Parfois je me faisais l’effet d’un boxeur qui hésite encore sur la couleur de son short quand il n’a même jamais posé le pied sur un ring.
Je revissais donc le capuchon de mon stylo, et tout ce que j’en concluais c’est que j’habitais une région dont la première lettre était un P, un P comme « Putain-pourquoi-je-suis-pas-né-ailleurs ? »
L’autre problème, c’était le nom du héros.
Je m’appelle Virgil Stoffaes.
Virgil Stoffaes, regardez bien, c’est un ballon de basket dégonflé. Rien à voir avec le Arturo Bandini de John Fante, le Zorg de Philippe Djian ou le Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke.
Pourtant il suffirait rien que d’un petit «e » au bout de mon prénom pour que la poésie se pointe, c’est à dire bouffer du raisin noir en toge et tout le tralala… et Stoffaes on pourrait dire que, soufflé rapidement, ça ressemble un peu aux bruits que font les vrais karatekas.
Alors ?…
Quand même, cette autre vie me faisait chier.
J’ai préféré laisser tomber, juré de ne plus chercher à devenir écrivain pendant au moins mille vies.
Et j’ai tenu bon.
Jusqu’à aujourd’hui.