Tiercé (partie 6)

Publié le par Chris de Neyr

  Un mois avait passé.

 

  Pourquoi je rêve autant ? se demandait encore Mathias, déambulant à deux à l’heure dans l’appartement sombre d’Anaïs, et se prenant les pieds dans ses vêtements dispersés sur le sol.

  Je rêve parce que ma vie vaut que dalle. Voilà l’histoire !

  « Hmm…  » grogna Anaïs en se retournant dans le lit.

  Il tâtonna un peu en allongeant les bras, frôla le bord du lit puis cogna son genou encore convalescent contre la table de nuit et se retint d’hurler.

  Tiens, se demanda-t-il, ça va me donner quoi comme rêve ce genre d’évènements ? Je vais me retrouver sur un radeau entouré de crocodiles, avec l’un d’entre eux qui s’appellera Zontier et qui viendrauiil, me croquer le genou ? Je lui donnerai un enfant à manger pour sauver ma peau et celle de la fille qui m’accompagne ? Ce sera qui la fille, d’abord ? Anaïs ou Elisabeth ? Et pourquoi pas Marcelle ? Je rêve jamais de Marcelle, tiens, c’est vrai…

  « Je sais pourquoi je ne rêve jamais d’elle, dit-il tout haut, c’est parce qu’elle me ressemble !

-      Super ! » marmonna Anaïs, prenant sa main pour l’attirer dans le lit.

   Elle chuchota :

   « De qui  tu parles ?

-      Personne. Je me demandais juste si je ne t’avais pas toujours aimée finalement. »

 

  Il adorait s’endormir lové contre elle, caresser son ventre –même si, il faut bien le dire, ce dernier n’affichait pour l’instant aucune rondeur caractéristique. Il  aimait son odeur. Parfois, il se sentait si bien qu’il suçait son pouce. C’était à se demander si les délires qui encombraient ses nuits n’étaient pas ceux d’un autre, si la Machine à Rêves ne s’était pas déréglée pour lui refiler le plafond inconscient d’un maniaco-dépressif, d’un tueur à gages ou d’un animateur télé. Un détraqué notoire, quoi.

  Anaïs ne dormait plus maintenant. Elle dit :

  « Elisabeth a appelé cet après-midi. »

  Mais Mathias aurait d’abord voulu régler cette histoire de rêves tordus. Il se sentait prêt pour l’analyse.

  « Je voudrais dormir comme un bébé, gémit-il.

  - Tu as entendu ce que je t’ai dit ?

  - Oui. Elisabeth… qu’est-ce qu’elle voulait ?

  - Te parler.

  - Elle n’a pas laissé de message ?

  - Si. Elle a dit qu’elle allait rentrer en France quelques temps. Pour régler votre affaire de divorce. Définitivement. Je crois qu’elle est décidée.

  - Ah oui ?

  - Elle a aussi pris de mes nouvelles. »

  Et mon problème de rêves ? s’inquiétait Mathias. Y’a quelqu’un que ça intéresse ?

  « Tu crois qu’elle va supporter ? dit Anaïs.

-      C’est elle qui le demande, non ?

-      Je ne te parle pas du divorce.

-      De quoi alors ?

-      De nous deux.

-      Il faudra bien. »

  Quelqu’un a-t-il conscience de ce que je dois supporter, moi ? Il faut en parler, et vite ! Il est urgent que je me soigne, moi ! Il s’empressa de lancer :

  « Je crois que j’ai de gros problèmes de sommeil.

-      Des troubles, tu veux dire ?

-      Ouais, c’est ça. Des troubles. Tu sais, tous ces rêves…

-      Tout le monde rêve.

-      Peut-être. Mais je ne suis pas certain que ce soient ce genre de rêves. Aussi  troublants et traduisibles, je veux dire. C’est comme si je vivais une autre vie, un itinéraire parallèle. »

  Elle soupira, voulu lui caresser sa marque de fabrique assoupie, mais il lui tourna le dos.

    « Je vois bien que ça n’intéresse personne ! Vous vous dites tous : Mais qu’est-ce qu’il vient nous faire chier avec ses angoisses nocturnes ?

-      Commence pas, murmura-t-elle dans l’oreiller.

-      C’est des trucs personnels, je sais bien.

-      Mais quoi ?

-      Eh bien… j’aurais aimé me sentir épaulé, c’est tout. »

  Anaïs s’assit, et força rudement Mathias à se retourner vers elle.

  « Je suppose que tu attends que je réagisse, là ? Hein ? Je ne peux pas croire que tu sortes ce genre d’arguments innocemment ! Jure-moi au moins que c’est ta façon de provoquer quelque chose !

-      Non. Je suis sincère. Je suis bien trop perturbé pour faire des effets de manche.

-      Alors, c’est grave.

-      Pourquoi tu dis ça ? »

  Bon, c’est quoi le remède ? se désespérait Anaïs. Une thérapie ? Une cure ? Une partie de pêche ? Mon poing dans la gueule ?

  Mais elle choisit tout autre chose :

  « Mathias, est-ce que tu m’aimes ?

-      Je ne pourrais plus vivre avec quelqu’un d’autre.

-      Mais Elisabeth te manque. Ton « ex » te manque.

-      C’est vrai.

-      Eh bien, tu devrais agir en conséquence, dit-elle en colère.

-      C’est ce que je fais.

-      Cet enfant pourrait être le nôtre, tu le sais ? »

  Il la regarda, suffoqué.

  « Tu… tu en es sûre ?

-      Ne fais pas l’idiot ! Je pourrais te le donner, Mathias, mais pour cela il faudrait que tu le veuilles vraiment. Tu dois me dire ce que tu attends de moi. Comment pourrait-on rester ensemble à essayer de construire quelque chose sinon… ?

-      J’ignorais qu’il était de moi.

-      Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit, Mathias.

-      C’est que tu me semblais si cohérente, tellement bien dans ta peau… comme si tu assumais tout ça, sans vouloir m’impliquer plus que ça.

-      C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ?

-      Je ne sais pas, je crois que ça n’a rien à voir avec ce que je peux attendre de toi.

-      Justement, tu attends quoi de moi ?

-      Ooooh… »

  Mathias aurait préféré qu’on se penche sur le problème de ses nuits trop agitées. Il voulait reparler de ses rêves, se cacher derrière un paravent.

  « Ce que j’aime en toi, c’est toi, Anaïs. »

  Cette fois, c’est elle qui se détourna pour dire :

  « Tu veux les choses sans problèmes, hein ? Une relation détachée, libre, un radeau dérivant sur une mer d’huile… »

  Pourquoi elle parle de radeau ? s’angoissa Mathias. Elle ne lit pas dans mes pensées tout de même ! C’est une coalition ? Je suis victime d’une terrible machination, quelqu’un a juré ma perte !

  « Bon sang ! Tu l’veux cet enfant, oui ou non ? s’impatienta Anaïs.

-      Et toi, pourquoi tu as voulu le garder ? Parlons un peu de toi, si c’est ça.

-      C’est personnel, se radoucit-elle, je ne veux pas dire par là que c’est compliqué, non, au contraire. C’est en moi. Il est arrivé, je le prends.

-      Ben moi, c’est pareil.

-      Faux. Toi, tu n’as pas décidé de le garder. »

  Il se leva, alluma la lumière et revint s’asseoir sur le lit. Il la regardait intensément à travers un écran trouble.

  « C’est quoi tes projets ? reprit-elle.

-      Vivre avec toi. Elever notre enfant.

-      Mathias, je me fiche de tes phrases à la con ! Dis-mois la vérité. »

  Elle s’aperçut qu’il gardait les yeux rivés sur ses seins. Elle releva les draps, furieuse.

  « C’est tout ce que tu sais faire quand je veux te parler sérieusement ? Mater mes seins ?

-      Ils sont beaux.

-      Et après ? C’est suffisant pour former un couple d’après toi ?

-      Y’en a qui le font pour moins que ça.

-      J’ai pas envie de rire, Mathias. T’en es où de tes sentiments pour Elisabeth ?

-      Hmm…

-      Je t’écoute. Je ne lâcherai pas.

-      Elle me manque, c’est vrai. Mais sans doute pas comme tu le crois. Je n’ai plus de désir pour elle si tu veux savoir, je ne pleure plus en regardant nos photos. Elle me plaît toujours, je l’admire encore, mais parfois elle m’énerve aussi. Pas trop, pas de façon acharnée, rien de suspect. Je suis sans doute resté un peu amoureux de son souvenir, mais certainement pas d’elle.

-      Elle dit que tu te planques, Mathias.

-      Je me planque ?

-      Personne ne sait où tu vas, Mathias ! Tu ne dis rien, ou alors tu laisses les autres interpréter. Pierre dit que tu es franchement compliqué. Il pense que ton dilettantisme dissimule un ego mystérieux…

-      Waouh… et ça donne quoi en signes, ça ?

-      Tu vois…

-      Et toi, tu penses quoi ?

-      Parfois je me dis qu’il n’y a rien du tout. »

 

  Elle l’avait cruellement blessé, mais il prit son courage à deux mains pour sourire. Elle continuait de le regarder :

  « Tu veux savoir ce que je pense vraiment ? dit-elle. Je pense que si tu rêves autant, ce n’est pas parce que ta vie vaut que dalle, comme tu dis, c’est seulement parce que tu t’obstines à le penser. Et puis je pense aussi que tes rêves ne sont pas si éloquents… »

 

  Mathias songea un instant à Eddy et Pierre, à la paresse déconcertante avec laquelle ils avaient tous les deux abandonné la partie. Lorsqu’Anaïs avait suggéré que Matthias pouvait venir chez elle le temps de sa convalescence, aucun des deux ne s’était indigné ou n’avait eu l’air meurtri. Un court instant Matthias les envia presque. Il revint s’allonger auprès d’Anaïs pour se goinfrer de son odeur. Elle dit doucement :

  « Pourquoi ça n’a pas été simple entre nous ? Il y avait tout pour que ce soit une histoire bien écrite dès le début. Tu te rappelles de nos vacances à Ergny ? De nos premiers baisers ? Où est-ce que ça a capoté, Mathias ? Qui est-ce qui a lâché le morceau ?

-      Peut-être qu’on devait grandir un peu.

-      Eh bien, ça ne t’a pas trop réussi.

-      Toi si »,  dit-il en souriant comme un imbécile heureux.

 

 

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B
<br /> S'cusez moi de m'immiscer, messieurs, mais je viens juste de goûter et d'avaler ce texte.. J'l'avais mis de côté pour ce weekend, une gourmandise, quoi.. Miam!<br /> <br /> <br />
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C
<br /> La vérité ça fait plaisir... et encore, vous n'avez pas goûté mes moukraines à la glaviouse!<br /> <br /> <br />
M
<br /> Correctification : pas "de ses trois dernières phrases mais bien "des trois dernières phrases". Aheum aheum.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> z'êtes malade? pharyngite? bronchite? angine? (moi j'pique de l'Elycidine à mon mini-baron, très efficace... -même si j'suis pas sûr de l'orthographe et que<br /> j'ai la flemme d'aller vérifier) Uh uh uh<br /> <br /> <br />
M
<br /> Je trouve formidable - encore une fois - que vous ayez tout résumé dans le clin d'œil de ses trois dernières phrases (Dîtes-moi que mon esprit n'est pas mal tourné et qu'il y a bien ce que j'y vois<br /> hein ?)<br /> Et je m'inscris en faux mais pour de vrai : j'aime vos personnages et je suis avec bonheur leurs péripéties, ils m'intéressent, MOI AUSSI. Aheum.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Je ne sais pas c'que vous y voyez, Maximus, dans ces trois dernières phrases mais je vous fais confiance... (quoique, si ça se trouve vous y voyez plus qu'il<br /> n'y en a!)<br /> <br /> Je dois aussi vous dire que vous n'étiez absolument pas -mais alors pas du tout, visé par mon com sur l'intérêt relatif de certains pour<br /> les tribulations de mes compères... alors là vraiment, désolé si je vous ai froissé.<br /> Et puis en plus, sans fausse modestie je puis comprendre que tout cela n'intéresse pas grand' monde (les salauds, quand même!)<br /> <br /> Ce point étant éclairci, un grand merci pour votre soutien qui me fait toujours du bien...<br /> <br /> <br />
M
<br /> Je n'ai le temps que d'écrire de courtes maximes grossières (en réponses aux vôtres si poétiques) mais encore une fois, je reviendrai!!!<br /> Hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahha.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Aaaahh ouais, mais donc alors vous parliez de quelle pipe??<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> La nuit la neige, une pipe... N'oublions pas d'être heureux.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Je me demandais qui allait me la faire (la blague, pas la pipe...). Bravo, votre rapidité n'a d'égal que votre talent. ÜüÜ<br /> <br /> <br />