Muraille de Chine
Avec Maud, on était restés plusieurs semaines ensemble. Elle me surnommait « mon gros » (alors que je pesais à peine 70 kg, c’est juste pour vous donner une idée de la fille).
La plupart du temps, son appartement était vide lorsque je rentrais. Moi je lui demandais seulement d’être là avant l'aube. Les joues pas trop rouges et les cuisses pas trop humides, si possible. La plupart du temps je m'endormais en bavant sur l'oreiller.
A chaque fois le bruit du verrou de la porte d'entrée me réveillait et c'est bien la première chose à laquelle je pensais lorsque j’ouvrais les yeux : lui remplacer ce putain de verrou !
Maud passait doucement sa tête. « J’te réveille… ? »
Question à la con.
Je me frottais les yeux pour regarder l'heure mais je ne voyais rien à cause de son vieux réveil qui n'avait pas les aiguilles fluo (« Ben oui, j’peux pas dormir sinon… »). Son ombre flottait dans la chambre. Elle ôtait son imper en roulant des épaules mais je refusais de me laisser aller aussi vite. Je ne bougeais pas d’un pouce. Elle pouvait toujours mimer des baisers vers moi, l'imper bloqué sur la croupe.
« Ne fais pas l'imbécile, m’intimait mon cerveau, ne fais rien, surtout ne fais rien ! »
Et je tenais bon. J’étais plutôt libre en ce temps-là quand j’y repense.
L’ombre de ses jambes cosmiques se dessinait sur le mur alors j’empoignais le paquet de cigarette, histoire d’occuper mes mains, histoire de ne pas caresser le mur et tout foutre en l'air. Je me levais, j’allais dans la cuisine, je ramassais les canettes de bière –il y en avait assez pour construire une autre muraille de Chine mais vous n'êtes pas obligés de me croire.
A la fin j'ouvrais la fenêtre et je pissais tout droit en fixant un nid d'étoiles.
C’est le moment qu’elle choisissait, souvent, pour venir se poser derrière moi et plaquer sa main entre mes cuisses. Et me nettoyer les oreilles avec le bout de sa langue aussi. Il me semble bien que l’Enfer se balançait au bout de ma queue. Vous ai-je dit qu’elle ne portait plus rien du tout sur elle à ce moment-là ?
Alors voilà. Et tandis que je m’effondrais, me retournant pour l'embrasser et ne pas mourir avant d'être mort, elle me balançait –implacable :
« Oh là là… c'que tu pues la bière, mon gros ! » avant de s’en retourner pisser –en laissant bien la porte des guogues ouverte, entre nous soit-dit.
C’est douloureux à dire mais parfois j’aimerais bien retrouver cette vie –juste quelques instants, « replonger mes mains dans l’eau claire, comme mon père » dit Carver.