Un Monde Qui S'écroule (1/5)

Publié le par Chris de Neyr

LE 11 SEPTEMBRE 2001, au moment même où s’écroulait la première tour du World Trade Center, Marine annonça à Julien qu’elle le quittait parce que, selon elle, il n’avait pas toujours la bite très propre.

 

  « Fichtre !… » pensa d’abord le jeune homme en recrachant sa fumée de cigarette, « … deux ans de vie commune pour en arriver là, » et puis aussitôt il se demanda comment on pouvait si aisément basculer dans le sordide.

  Il tourna son visage vers Marine et  cligna des yeux. Les volutes qui entouraient son visage donnaient à celui-ci un teint bleuté. Dehors le ciel était encombré de nuages gros comme les emmerdes qui se profilaient déjà à l’horizon. Il baissa le son de la télé avant de se lever en couinant.

  « Finalement, à trop surestimer les gens qu’on aime, marmonna-t-il en ouvrant nonchalamment la porte du réfrigérateur, on en oublierait presque de les voir tels qu’ils sont. »

  « Mon Dieu, à qui le dis-tu… ?! » rétorqua Marine en claquant définitivement la porte d’entrée.

  Un quart d’heure plus tard, la deuxième tour s’écroulait à son tour tandis que Julien entamait sa deuxième Danette à la vanille.

 

  Les images des deux avions percutant les tours passaient en boucle à la télé. Julien contemplait l’Amérique ébranlée en farfouillant dans son slip –parce que franchement, deux avions qui jouent aux dominos avec des buildings et quelques milliers d’américains en moins, ça pèse quoi face à une bite supposément sale dans la bouche de votre petite amie… ?

  Je ne comprends pas, s’interrogea le jeune homme, je prends une douche tous les jours, je porte des caleçons Calvin Klein, je les change en temps voulu, j’utilise des sticks déodorants sans alcool qui n’irritent pas la peau, je ne laisse jamais traîner mes chaussettes en boule, je ne me gratte jamais les couilles en public, je me nettoie consciencieusement les oreilles, je porte des jeans super serrés à la taille –bien malin qui pourrait ne serait-ce que deviner le début d’une raie du cul quand je m’accroupis, j’utilise deux dentifrices différents pour me brosser les dents (deux à trois fois par jour), je suis un modèle de propreté à moi tout seul, un exemplaire unique de l’homme moderne dans toute sa splendeur. Tiens, ce que je suis, moi ? C’est bien simple : un phantasme ambulant pour lectrices de « Glamour » ou « Cosmopolitan ».

  Bref –pourquoi le nier ?… je suis un monde meilleur à moi tout seul.

  Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle a voulu me dire… ? !

 

  Dans la petite lucarne, les pompiers américains paraissaient en avoir gros sur la patate. Leurs uniformes avaient vieilli de dix ans. Autour d’eux des hommes et des femmes pleuraient en courant dans tous les sens. Ça tournait en début d’Apocalypse chez l’Oncle Sam, pas besoin de musique wagnérienne ou d’un escadron d’hélicos pour s’en rendre compte.

  Les gens avaient des regards de cinglés, leurs bouches paraissaient disproportionnées, leurs visages comme écrasés de stupeur. Certains serraient de belles mallettes en cuir contre leur ventre en tournant sur eux-mêmes, un pan de chemisette blanche flottant au-dessus du pantalon. Ils semblaient privés de repères à tout jamais. Savent-ils encore où ils habitent ? se demanda Julien.

  On aurait dit des colonies de fourmis shootées à l’éther.

  Beaucoup d’entre eux trouvaient néanmoins le moyen de téléphoner (à qui donc ? des proches ? Wall Street ? CNN ?…) et en les observant attentivement, le portable collé à la tempe et le souffle court, la cravate en bataille, le téléspectateur lambda avait la confirmation, sans même avoir à se rapprocher du poste, que tout ce qu’il voyait se passait bel et bien aux Etats-Unis d’Amérique.

  Sûr. Là-bas et nulle part ailleurs.

  On entendait des « Oh My God ! », des « Shit !!! » et des « Oh, Jesus… » à foison, l’Amérique était sens dessus dessous.

  Et devant tout ce charivari, Julien ne trouvait rien de mieux à faire que de se décalotter le gland pour tenter d’y voir un peu plus clair dans son bordel intime.

 

  La sonnerie de son portable retentit. Sur l’écran s’affichait le numéro du portable de Marine. « Eh, eh… » ne put s’empêcher de ricaner le jeune homme en faisant un clin d’œil en direction de son membre, lequel, soit dit en passant, s’était déjà légèrement raidi en étant de la sorte tripatouillé.

  - Oui ? fit-il en plissant des yeux. (Plisser des yeux, c’était sa façon à lui de reprendre du poil de la bête.)

  - Tu n’as même pas essayé de me retenir ! hurla Marine à l’autre bout du fil.

  - Je regarde les infos.

  - Je n’arrive pas à y croire…

  - Moi non plus. C’est un monde qui s’écroule.

  - Va mourir avec tes infos à la con ! Je parlais de nous deux, tu ne sauras jamais ce que j’ai enduré avec toi. Et tout ça pour quoi… ?!!

  - Attends un peu… ce que tu as enduré ?

  Julien se redressa pour baisser le volume de la télé avec la télécommande. Mais il se trompa de touche et changea malencontreusement de chaîne. C’était la même punition, sauf que les images étaient filmées sous un autre angle. On avait l’impression que l’avion pouvait ressortir de l’autre côté de la Tour n° 2.

  - Oh oui, répondit Marine, tu n’as pas idée.

  - De quoi tu te plains ?

  - Franchement ? Je ne sais même pas par où commencer…

  - Alors pourquoi me reproches-tu de n’avoir rien fait pour te retenir ? Excuse-moi mon amour, mais j’ai du mal à suivre ton raisonnement…

  - Oh, ne fais pas l’arrogant s’il te plaît.

  - C’était si terrible que ça ?

  Le jeune homme avait éteint la télé à présent. Il voulait garder les mains libres et ainsi se découvrir le gland tout à son aise.

  - Oh non, grinça Marine, je t’en supplie, ne viens pas sur ce terrain-là. Et puis ne m’appelle plus « mon amour », s’il te plaît. Plus jamais.

  - Bon vas-y alors, je t’écoute. Crache donc le morceau, mon amour… une bonne fois pour toute.

  - Pas la peine, non. Plus maintenant.

  - Hmm.

  - Ecoute, tu voudrais bien me faire plaisir ? Une fois dans ta vie, rien qu’une fois, essaie de regarder les choses en face. Et affronte la réalité si tu en as le courage.

  - Mais je ne fais que ça, ma chérie.

  - Oh oui, bien sûr.

  - Tiens, regarde : je n’t’avais pas dit qu’un jour ça pèterait en Amérique… ?

  - Arrête.

  - Tes arguments te ressemblent, tu sais ça ? Je veux dire : ils ne sont pas très fins

  - Mon Dieu, comment peut-on tomber si bas ?

  - Tomber si bas ? Hou la la… dis-moi, pour le coup c’est très réactif ce que tu viens de dire ! Attends un peu, les New-Yorkais et moi-même te félicitons pour ton sens irrésistible de l’à propos.

  - Vas-y, fais le malin.

  - Eh bien oui, c’est bien dans mes intentions. Au fait, ajouta alors Julien en croyant tapoter sa petite cuillère sur le bord de la table (la vérité c’est qu’il l’avait déjà aplatie comme un caramel mou, pour mieux la tordre dans tous les sens), dis-moi, je me demandais… pourquoi c’est pas sur ta gueule que ces putains d’avions sont allés s’écraser ? 

 

à suivre...

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M
<br /> Ah ben oui alors! pourquoi?<br /> <br /> Bon ben je vais lire la suite!<br /> <br /> (mais quel commentaire constructif!)<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Ah ben oui alors! pourquoi?<br /> <br /> <br /> Bon ben je vais écrire la suite!<br /> <br /> <br /> (mais quelle réponse constructive!)<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Alors là! Va falloir assurer hein, parce que ça, ça donne fichtrement envie de connaître la suite OK ? Allez, au boulot...<br /> <br /> NDLR : Bon vous frappez pas, je vous donne pas d'ordre on est bien d'accord hein, juste c'est l'enthousiasme quoi...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Ah l'enthousiasme, j'en parlais justement avec Miss Poune... (pour ce qui est d'assurer, vous pouvez me faire confiance : j'ai un contrat en<br /> béton!)<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Ah la la, ça fait plaisir ! ouais, je sais, je l'ai déjà dit, mais vraiment, hein, c'que ça fait plaisir !<br /> Vous n'avez rien perdu de votre talent en route... alors zou ! la suite !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> et vous vous n'avez rien perdu de votre enthousiasme!! allez zou, la suite (là dans la foulée, chuis un mec comme ça, moi...)<br /> <br /> <br /> <br />