Epitaphe (3ème et dernière partie)

Publié le par Chris de Neyr

Des gouttes de sueur se sont mises à perler du front de Paul. Ses lèvres ont tremblé comme s’il allait se mettre à chanter l’Ave Maria de Gounod en play-back. Il faisait un peu pitié à vrai dire.

  - Au cimetière… ? Mais heu… non, ça va pas être possible non plus au cimetière.

  Je l’ai regardé fixement. Il était au bord de la crise de nerfs, me semblait-il.

  J’ai décidé d’abréger ses souffrances.

  - C’est bon Paul, ne te donne pas tout ce mal. Rends-moi mon poème et va donc prier pour ton frère. C’est bien le moins que tu puisses faire aujourd’hui.

  - Mais qu’est-ce que…

  Son front n’était plus qu’une tache rouge brillant à la lueur des bougies tandis qu’une bombe de laque entière s’échappait en volutes au-dessus de sa tête. Son visage s’est tordu comme un masque de carnaval qu’on aurait jeté au feu. Mon Dieu, comme j’ai regretté à cet instant précis qu’Henry ne soit plus de ce monde.

  - Ecoute… ne le prends pas comme ça, m’a-t-il enfin susurré en s’approchant de mon cou, quasi menaçant –mais sans trop de conviction non plus, il faut bien l’avouer.

  - Hmm ?

  - Bon Dieu, tu fais chier…

  - Tu es dans une église, Paul. Ne jure pas.

  - Sale petite…

  Aaaahhh. Enfin Paul redevenait lui-même ! Celui-là même qu’il n’avait jamais cessé d’être en somme. Et je me suis dit que si les gens qui gueulent comme des putois au volant de leur bagnole ne sont pas tous forcément des abrutis, de la même façon les gens tristes et recueillis dans une église ne sont pas tous forcément des anges.

  - Au fait, il a dit en se raclant la gorge, rassure-moi au moins sur un point, dis-moi la putain de vérité : tu n’avais pas l’intention de lire ça devant tout le monde ? 

  On y était. Bon sang on y était. Le serpent en terminait avec sa mue. Prêt maintenant à cracher son venin. Le même venin qui lui pourrissait la gueule depuis quatre ans. Depuis que j’avais perverti son petit frère. Depuis que l’unique sujet de conversation pendant les repas de famille du dimanche tournait autour de la vie de débauché d’Henry. Depuis qu’ils avaient dû admettre –sans jamais l’exprimer de façon explicite bien entendu, que le petit dernier de la fratrie aimait bien se faire mettre autrement que de façon imagée.

  - Ben si, tu vois, j’ai répondu le plus calmement du monde : en tant qu’“ ami le plus proche ” d’Henry, je pensais qu’il m’appartenait de dire ce que lui et moi étions l’un pour l’autre. Dans l’intimité, je veux dire. Dans le détail même. Mais dis-moi, Paul, tu t’attendais à quoi au juste…?

  Il m’a tourné le dos et s’est pris la tête à deux mains en rejoignant sa place. Là où le grand chapeau noir d’Agnès dodelinait toujours -comme s’il répétait « Oh mon Dieu non non non non non… oh Seigneur non non non. »

  J’ai regardé le cercueil une dernière fois avant de sortir de l’église.

 

  Je me suis demandé si Henry aurait été fier de moi sur le coup.

 

  Dehors un groupe de vieux costumes gris bavardait tranquillement –comme si personne n’était mort, fumait le cigare en discutant de chasse.

  « Henry détestait la chasse, vous le saviez ? »

  Ils se sont interrompus un instant, me lançant chacun leur tour un regard hautain.

  « Et je ne vous parle pas de l’haleine des fumeurs de cigares… ! ! »

  L’un d’eux a maugréé je ne sais quoi à propos de « ces folledingues de tarlouzes » et ils sont tous retournés à l’intérieur, engoncés dans leurs costumes trop gris et leurs certitudes figées. Je leur ai fait un petit signe de la main.

 

  Les gens ont souvent une fausse idée de ce qui leur fait peur. Le temps passe et incruste –pour l’éternité dans la plupart des cas, pour quelques jours de moins quand on a de la veine, ces craintes qui finissent par faire de nous des êtres acerbes et sans commisérations.

  Louis-Ferdinand Céline aboyait : « Si les gens sont si méchants, c’est peut-être simplement parce qu’ils souffrent. Mais que le temps est long du moment où ils ont cessé de souffrir à celui où ils deviennent un peu meilleurs. »

  Je ne suis certes pas Céline -d’ailleurs je ne crois pas être méchant, et puis surtout je n’ai jamais rien écrit de valable. Mais il y a cependant une chose que je sais : j’ai perdu mon amoureux, et le soleil n’est pas prêt de se lever sur le jour où j’aurai cessé de souffrir.

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C
<br /> J'aime le portrait, sobre et touchant de cet homme en deuil. C'est léger et pathétique à la fois. La référence à Edward Hopper m'a personellement émue.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Oui, j'aime tout ce qui est léger et pathétique. En ce qui me concerne je pèse 77kg. Pour le reste...<br /> <br /> <br /> Merci de votre visite en tous les cas!<br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> ce portrait d'homme est aussi complet et détaillé qu'aurait pu l'être cette oraison funèbre....Et les connards restent des connards.. En attendant, j'ai aimé lire ceci...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> vas-y fais pas ton maximus!<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Désolé mais cause déménagement je suis privé d'accès internet depuis -et pour encore quelques semaines. ÜüÜ<br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> Une belle ambiance bien décrite. Et ces chasseurs-fumeurs-de-cigars, dehors, j'adore...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> C'est bien. La perte, la douleur, l'absence, la différence et l'indifférence. C'est même très bien.<br /> <br /> <br />
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